La Suisse, souvent célébrée pour sa neutralité immaculée, voit resurgir un fantôme que l’on croyait enfoui : la découverte en 2025 de comptes bancaires appartenant à des dignitaires nazis ou à leurs complices dans les archives de Credit Suisse vient rappeler que l’histoire ne se laisse jamais tout à fait museler. Cette révélation n’est pas une simple péripétie archivistique : elle ravive les blessures d’une époque où la Confédération, tout en évitant l’invasion allemande, a monnayé sa survie au prix de compromissions économiques avec le régime hitlérien.
Pendant que le monde brûlait, la Suisse servait de coffre-fort et de blanchisseur financier au 3e Reich. Les chiffres sont accablants : 345 tonnes d’or nazi — en partie pillé aux banques centrales des pays occupés ou arraché aux victimes de la Shoah — ont été converties en francs suisses, seule devise alors acceptée sur les marchés internationaux. Cet or, estampillé de la croix gammée, finançait l’effort de guerre allemand, permettant l’achat de matières premières stratégiques. Comme le souligne l’historien Marc Perrenoud, « la Suisse n’était pas une priorité militaire pour Hitler, mais elle était vitale pour son économie de guerre ». Un mariage de raison qui a permis à Berne d’éviter le sort de ses voisins, au prix d’une collaboration économique opaque.
Il a fallu attendre un demi-siècle et les pressions internationales pour que la Suisse entame un timide examen de conscience. La Commission Bergier, mandatée en 1996, a levé un coin du voile, pourtant, son rapport de 11 000 pages n’a été qu’un début.
La récente découverte de comptes nazis relance une question brûlante : que savait vraiment le secteur bancaire helvétique ? Ces comptes, parfois ouverts sous de fausses identités, révèlent un système de dissimulation sophistiqué. Certains auraient servi à financer des réseaux d’exfiltration de criminels de guerre vers l’Amérique latine, d’autres à blanchir des œuvres d’art volées.
Ce scandale intervient à un moment clé pour la Suisse, qui tente de redéfinir son rôle géopolitique (adhésion récente au Conseil de sécurité de l’ONU) et son image de place financière « propre ». Les jeunes générations, moins attachées au mythe de la neutralité héroïque, réclament une vérité totale. Des parlementaires socialistes exigent la création d’un fonds d’archives ouvert et numérisé, sur le modèle des « Paradise Papers ».
La Suisse, berceau de la Croix-Rouge, saura-t-elle enfin regarder son histoire en face ? Comme l’écrivait Max Frisch, « le passé n’est pas mort ; il n’est même pas passé ».