Alger-Paris : l’impasse élyséenne

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La menace de démission brandie par Bruno Retailleau, ministre français de l’Intérieur, au sujet des relations avec l’Algérie, révèle bien plus qu’un simple bras de fer politique. Elle expose les fractures d’un exécutif tiraillé entre une logique de fermeté populiste et la nécessité d’une diplomatie équilibrée, dans un contexte où les enjeux migratoires se mêlent à l’héritage historique franco-algérien.

En exigeant une « escalade progressive » de mesures coercitives contre Alger si ce dernier refuse de reprendre 60 immigrés clandestins qualifiés de « dangereux », Retailleau place le gouvernement devant un dilemme explosif. Son ultimatum – « je ne suis pas là pour le poste, mais pour la protection des Français » – sonne comme un mantra populiste, visant à cristalliser les peurs autour de l’immigration. Pourtant, cette posture tranche radicalement avec les déclarations récentes d’Emmanuel Macron, qui, dans « Figaro », saluait la coopération algérienne, rappelant que 3 000 permis consulaires avaient été délivrés en 2023. Un chiffre qui invalide partiellement le discours alarmiste du ministre.

Cette divergence illustre un malaise profond : celui d’une diplomatie française en roue libre, où chaque membre du gouvernement semble jouer sa partition sans orchestre commun. Alors que Retailleau affirme que sa ligne de « rapport de force » est désormais « celle du gouvernement », jusqu’à évoquer une remise en cause des accords de 1968 – pierre angulaire des relations bilatérales –, l’Élysée apparaît en retrait, peinant à incarner une stratégie claire. Le risque ? Non seulement alimenter les tensions avec Alger, déjà sensibles sur les questions mémorielles et économiques, mais aussi donner l’image d’une France divisée, où les ministres s’érigent en francs-tireurs, au mépris de la cohérence étatique.

Derrière cette crise se cachent des enjeux électoraux. Le langage martial de Retailleau, ciblant un pays souvent fantasmé comme repoussoir dans les débats hexagonaux, flatte une frange de l’électorat tentée par les sirènes de l’extrême droite. Mais à quel prix ? L’Algérie, partenaire incontournable sur la scène méditerranéenne et africaine, n’est pas un interlocuteur que l’on malmène sans conséquences. Les déclarations incendiaires risquent de raviver les vieux démons postcoloniaux et de compromettre des collaborations essentielles, notamment en matière de lutte contre le terrorisme ou de gestion énergétique.

Si Retailleau venait à concrétiser sa menace, sa démission serait moins un acte de courage politique qu’un aveu d’échec. Elle révélerait l’incapacité de l’exécutif à concilier réalisme diplomatique et surenchère sécuritaire. Mais elle pourrait aussi servir d’électrochoc, obligeant la France à trancher : privilégier le dialogue exigeant, comme le prône Macron, ou céder à la logique du clash, court-termiste et potentiellement ravageuse.

En définitive, cette affaire pose une question fondamentale : la France peut-elle se permettre de jouer avec le feu algérien, dans un monde où les équilibres géopolitiques sont déjà si précaires ? La réponse exige moins de muscles médiatiques que de lucidité stratégique.

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